Faire silence

Texte lu par Marie-Françoise au Mans le 24 octobre 2019.

Cela faisait longtemps que Yakusan n’était monté s’asseoir sur la haute chaise. L’intendant du monastère s’adressa à lui en ces mots : « Les moines réclament depuis longtemps des enseignements pour les guider, pourriez-vous, pour le bien de tous, donner un enseignement ? » Alors Yakusan fit retentir la grande cloche et les moines se réunirent. Yakusan s’assit sur la chaise, y demeura silencieux quelques temps, en descendit et rejoignit ses quartiers. Plus tard, l’intendant lui dit : « Vous avez accepté de donner un enseignement pour le bien de la communauté, pourquoi n’avez-vous pas prononcé un seul mot ? » Yakusan réplique : « Vous trouverez des enseignants pour les soutras, des doctes pour les commentaires, mais pourquoi embêtez-vous ce vieux moine ? »

        Pour beaucoup, faire silence serait trouver une cabane dans les bois, s’abreuver de chants d’oiseaux, s’enchanter des mélopées du vent ; le silence serait donc la suppression pure et simple des bruits gênants, des sons du monde moderne, il serait le fruit d’un environnement sonore naturel. Il va sans dire qu’une telle perception est bien naïve, le silence n’a que peu à voir avec ce à quoi on l’associe bien volontiers : la nature, la solitude des grands espaces. Cette quête de l’apaisement vous conduira plus sûrement à l’exaspération qu’au silence lui-même. Pour trouver le silence il faut simplement faire corps avec lui, devenir le silence même, alors tout ce vacarme sera harmonieux et apaisant. Pour décrire l’esprit en proie à la confusion et à l’illusion on utilise l’image du singe qui se débat et transforme l’esprit en capharnaüm sans nom. L’esprit serait donc comme un singe qu’il faut calmer et apaiser. Mais quel problème y a-t-il avec le singe ? Précisément la tentation de le calmer est souvent une immense source d’irritation : plus vous voulez le calmer et plus il vous agace. C’est pourquoi j’aime assez la méthode du vieux grand-père et du bac à sable.

Dans le bac : une ribambelle d’enfants plus bruyants les uns que les autres ; non loin de là, assis calmement sur un banc, un vieux grand-père observe la scène avec un calme joyeux, une malice bienveillante, laissant cette bande de petits animaux se chamailler. Si l’on me demandait ce qu’est l’un des aspects essentiels de la pratique, ce serait cela, rien que cela. Ne pas s’irriter au sujet de l’irritation, ne pas essayer de fixer les choses. S’amuser du capharnaüm et des cris des singes débraillés de la jungle intérieure.

Pierre Taïgu Turlur
La saveur de la lune, Albin michel